J’aime l’idée que les objets que l’on façonne prennent leur source dans d’insondables tréfonds. Qu’on la croit dictée par l’"inspiration" ou l’"imagination", la création ne devrait en effet jamais se départir d’une certaine mesure de mystère. A mon sens, il n’est ni nécessaire ni même souhaitable pour concevoir et apprécier les oeuvres d’en bien saisir l’origine. C’est une des motivations qui m’ont conduit à m’arrêter sur le titre de "magma" pour désigner collectivement les rondes compositions que cette exposition rassemble. Si dans la langue de tous les jours, on appelle magma un amas confus, celui-ci renvoie en sciences de la terre à une masse en fusion qui se pétrifie en refroidissant; une matière fluide, saturée d’éléments multiples, qui circule sous la surface et qui lorsqu’elle affleure se concrétise. Cela fait écho au souhait qui était le mien: cristalliser à la surface du tableau le désir d’une "peinture" concrète et matiériste. Je porte cette envie enfouie en moi depuis des décennies mais n’étais pas parvenu à l’assouvir jusqu’à présent, m’étant principalement consacré à la peinture de portraits, en évitant l’abstraction. J’avais par ailleurs cessé de peindre depuis des années au profit de la céramique. 

C’est paradoxalement la pratique de la terre, à laquelle je me consacre depuis 2014, qui m’a ramené à mes premières intentions créatives et m’a remis sur le chemin de la peinture, abstraite cette fois. Mu par le désir d’imaginer une "peinture-céramique", j’ai entrepris cet été de créer ces panneaux à la croisée des deux disciplines. Comme des plaques réalisées sans cuisson, ces tableaux circulaires contiennent ainsi de nombreux éléments minéraux et pierreux: grains de sable, pierres de lave, débris d’ardoises ou poussière de nacre. Même s’ils n’ont pas cuit à "haute température" (1300 degrés) comme les objets en grès et en porcelaine que je confectionne, ces "tondi" portent en eux la trace d’un destin minéral, une mémoire de pierre. 

La première moitié de cette année 2023, qui a marqué mon entrée dans la cinquantaine, aura été coïncidemment riche en voyages inspirants, principalement insulaires: dans la volcanique Lanzarote, la minérale Minorque, aux pieds de Snowdonia en Galles septentrionale, dans le Cercle d'Or du Sud de l'Islande, ou encore à Patmos, Ikaria et Samos dans l’Egée du Nord. Ces pérégrinations ont déclenché en moi l'envie de concentrer mes impressions de voyageur dans ces "mindscapes" minéraux. Les titres des tableaux sont pour la plupart des lieux traversés lors de ces séjours. Ils ont été réalisés fin juillet et fin août sur deux périodes relativement courtes, dans une véritable irruption créative dans deux lieux qui me sont chers: la Catalogne, où j’ai un domicile en dehors de Paris, et la Normandie, dans la maison de campagne de mes parents. A travers ces géologies "revisitées", j’ai réalisé qu’au fond, depuis fort longtemps, j'observe les paysages rocheux et suis fasciné, en néophyte ébahi, par leurs âpres rigueurs, par leurs dessins et leur destins grandioses. Les pierres nous parlent en effet de la nuit des temps et d'un monde qui, quoiqu'en apparence immuable, est en perpétuel mouvement: un monde magmatique. Cet oxymore visuel me happe et m’émerveille. Qui mieux que Roger Caillois pour raconter cette fascination, lui qui collectionnait les pierres, des plus anodines au plus nobles. Pour le paraphraser, j'aimerais moi aussi que mes compositions parlent : 

"des pierres : algèbre, vertige et ordre ; des pierres, hymnes et quinconces, des pierres, dards et corolles, orée du songe, ferment et image […] L’homme leur envie la durée, la dureté, l’intransigeance et l’éclat, d’être lisses et impénétrables, et entières même brisées. Elles sont le feu et l’eau dans la même transparence immortelle, visitée parfois de l’iris et parfois d’une buée. Elles lui apportent, qui tiennent dans sa paume, la pureté, le froid et la distance des astres, plusieurs sérénités."

Peintures & dessins confinement 2021